Programmation de l’exposition: du dimanche 10 janvier  jusqu’au 11 février à l’hôtel de ville de Nevers

Vidéo tournée à Magny-Cours avec les élèves du Lycée Alain Colas; lien video

Video sur le travail des élèves et des compagnons

Discours de Patrick-Alexandre TRAVERS
Président d’Emmaüs-Nièvre

L’attention aux plus faibles, la solidarité et la laïcité sont les fers de
lance de l’action du Mouvement Emmaüs ; l’implication concrète et
le refus de la misère, la confiance en la capacité de chacun à être
acteur de sa vie, la pratique de la rencontre entre ceux qui vivent
l’injustice et ceux qui la combattent, la volonté de lutter contre
l’exclusion et de refuser la fatalité sont autant de références qui
guident notre action.
Pour la troisième année consécutive, nous nous retrouvons autour
d’une magnifique exposition intitulée Jardins – Cabinets de curiosités.
Cette fois encore, je tiens à signaler la très grande richesse de l’oeuvre
accomplie, engendrée par une association baroque voire étrange mais
ô combien séduisante des étudiants de l’ESAAB et des Compagnons
d’Emmaüs.
Vous vous êtes penchés sur le concept des cabinets de curiosités, ces
chambres des merveilles où s’entassaient des objets hétéroclites
autant qu’insolites que l’on peut rapprocher des bric-à-brac chers aux
communautés d’Emmaüs dans lesquels on vient chiner pour espérer
trouver l’objet rare tant espéré.
La culture humaniste implique l’étude de l’identité et de l’altérité
c’est-à-dire l’examen de tout ce qui pousse l’Homme à rencontrer et
accueillir l’Autre, à découvrir d’autres horizons, d’autres points de vue,
à s’approprier des connaissances et des attitudes. A partir de
fabrications, de détournements et de représentations en deux et trois
dimensions, l’objet est utilisé dans l’art à des fins narratives,
symboliques, poétiques, sensibles et imaginaires. L’objet ainsi exposé
change de statut : il passe de l’objet, rebut de la société de
consommation, à un objet exposé dans un musée et devient donc
objet d’art. C’est un acte «antinaturel» car toute chose est vouée à
disparaître.
La rencontre des compagnons et des étudiants, une fois encore, a
produit ces prodigieux objets nés de l’intelligence et de la réflexion.
C’est en nous référant une fois encore à Marcel Duchamp que nous
affirmons que le geste radical transforme, par la seule déclaration de
l’artiste, l’objet quotidien manufacturé en oeuvre d’art. Les premiers
ready-made datent de 1913 et inaugurent l’oeuvre conceptuelle.
Depuis, l’objet sort du cadre de l’art classique et envahit le monde réel, se
présentant en tant que tel dans la scène de l’art et se prêtant aux détournements
comme aux mises en scène. L’objet ainsi exposé change de statut : il passe
de l’objet, rebut de la société de consommation, à un objet exposé
dans un musée et devient donc objet d’art.
Utilitaires, fonctionnels, les objets répondent à des besoins précis, à
un moment donné. Ils ont une valeur marchande et entrent dans les
échanges économiques. Vite hors d’usage, démodés, cassés, ils
deviennent ordures et finissent au rebut, dans les décharges, et leur
recyclage industriel n’en est qu’à ses débuts. On voit donc
immédiatement que penser à l’objet, c’est penser au sujet : celui qui
le désire, l’achète, l’utilise, le négocie, le jette. C’est aussi penser à la
beauté et à la laideur, au propre et au sale, à l’utile et à l’inutile.
Dans les objets, on peut voir d’abord des matériaux : au lieu de créer
à partir de matières naturelles (marbre, bois, terre) ou transformées
(bronze, toile, peinture), les artistes prélèvent des objets déjà
fabriqués, soit entiers soit sous formes de débris plus ou moins
identifiables ; ils les assemblent, soit en jouant sur l’accumulation, soit
en cherchant des rencontres inattendues.
On peut s’interroger sur le sens des objets ou le modifier en les
changeant de contexte ; on parle alors de détournement, une activité
qui consiste à donner aux objets une nouvelle chance. L’artiste est,
parfois, un récupérateur, un metteur en scène de débris hors d’usage ;
parfois aussi il donne aux objets une parole plus complexe, plus
fondamentale, plus vraie que ce qu’ils nous disent par leur simple
valeur d’usage.
On constate ainsi que la destinée de certaines femmes et de certains
hommes est souvent comparable à celle des objets qu’ils créent. Ils
doivent compter sur la solidarité pour retrouver une nouvelle chance
et surtout une nouvelle vie.
Reprenons le thème de cette exposition et la phrase clé de Candide à
la fin du roman philosophique éponyme : Il faut cultiver notre jardin.
Cultiver son jardin équivaut à exercer une activité économique
modestement rentable dont la finalité n’est pas le profit mais de
subvenir à des besoins raisonnables. Par extension métonymique,
« cultiver son jardin » signifie aussi « cultiver son propre savoir-faire » ;
« Chacun se mit à exercer ses talents ». C’est donc une morale
« humaniste » dans le sens où elle implique que chaque être présente
une prédisposition naturelle, un talent « latent », comme le souligne
l’anagramme, qu’il lui revient de cultiver pour qu’il s’épanouisse. Cela
permet à chacun de se réaliser, de se valoriser par l’effort et la
persévérance.
Enfin, « cultiver » comme « culture » a aussi un sens figuré, abstrait : le
« sage » cultive son champ mais ne laisse pas non plus son esprit en
friche : il se nourrit des idées d’autrui, les soupèse, les réfute, les
assimile, s’interroge, accepte le doute, remet en cause régulièrement
ses certitudes : il cultive son esprit, son « jardin secret ».
Le récit de Saint Luc au cours de l’épisode d’Emmaüs insiste sur le
chemin emprunté par les deux compagnons : c’est d’abord un sentier
de doute, d’interrogations bientôt illuminé par la rencontre ; épisode
rempli d’échanges et de partage. C’est la rencontre qui transforme les
sentiers ténébreux en allées étincelantes : si le chemin de Damas est
celui de la conversion, le chemin d’Emmaüs est bien celui de la
consolation mais aussi celui du partage ; le chemin de la réparation
pour toutes ces femmes, tous ces hommes accablés par les douleurs
de l’existence, les vicissitudes d’une vie compliquée. Merci à tous,
notamment à vous, étudiant de l’ESAAB, qui avez accompagné nos
compagnes et nos compagnons durant ces quelques lieues sur le
chemin de leur existence et leur avez permis de retrouver un
supplément d’âme et un surcroît de dignité.
Patrick-Alexandre TRAVERS
Président d’Emmaüs-Nièvre